
(Série : La conscience-Partie 9)
Lorsque notre santé chancelle, nous cherchons instinctivement à éliminer la douleur, à « réparer » ce qui semble brisé. Mais si nos symptômes étaient en réalité des messagers ? Et si, derrière l’épuisement, la tension ou la maladie chronique se cachait une invitation à nous reconnecter à nous-mêmes ?
À travers l’histoire de Julie, un cas parmi tant d’autres, nous verrons comment la conscience peut devenir un levier de guérison… et ce, bien au-delà du simple soulagement des symptômes.
Et nous, qui sommes-nous dans la santé et dans la maladie ? Sommes-nous autre chose que ce dont nous sommes conscients?
Ce qui nous accompagne toujours, c’est notre conscience. Elle seule est là, dans tous les moments, même les plus difficiles. Mais encore faut-il faire une distinction subtile – et pourtant essentielle – entre deux états que la langue anglaise nomme différemment: « awareness » et « consciousness ». Le français, lui, n’a qu’un seul mot : conscience. Cela ne veut pas dire que tout est pareil.
Awareness, c’est la présence attentive. C’est la capacité à remarquer ce qui se passe, à l’intérieur comme à l’extérieur de soi. Un bruit dans la forêt ? Je le perçois. Un souffle court pendant l’exercice ? J’en prends note. Une tension dans la fesse droite ? Je sens qu’il est temps de changer de position. C’est cette part de moi qui perçoit avant même de penser. Celle qui capte un signal avant que je lui donne un sens.
On pourrait appeler cela :
- Perception consciente
- Présence attentive
- Observation incarnée
Consciousness, c’est la conscience avec un grand C. C’est l’état d’être conscient, capable de réfléchir, de donner du sens, d’intégrer une expérience. Je ne fais plus qu’observer un symptôme : je commence à me poser des questions. Cette douleur est-elle seulement physique ? Et si elle disait autre chose de ma vie, de mes déséquilibres, de mes résistances ?
On peut parler ici de :
- Conscience de soi
- Conscience réflexive
- État de conscience élargi
Les deux sont essentiels : sentir et comprendre.
Dans notre parcours de santé – ou d’absence de santé – il est vital d’activer ces deux dimensions.
- L’awareness me permet de remarquer ce qui se passe dans mon corps.
- La consciousness m’aide à comprendre ce que cela signifie pour moi, dans ma vie, mes relations, mon histoire.
Mais voilà, dans les moments de crise, de douleur ou de maladie, nous avons souvent le réflexe inverse. Nous oublions qui nous sommes. Le mode survie prend le dessus, et avec lui, ces ressources si précieuses passent à l’arrière-plan.
Notre corps parle. Encore faut-il l’écouter. Quand je suis attentif à mon corps, je sais quand je suis fatigué. Je sais quand j’ai besoin de repos. Mais quand je ne suis plus présent, je découvre que je suis épuisé trop tard – après l’accident, l’effondrement, le « burn-out ». La conscience (au double sens) est toujours là. Mais nous l’oublions et c’est justement elle qui peut nous guider.
Julie vient consulter pour une douleur chronique à l’épaule. Elle a vu « tout le monde », dit-elle. Sans grand résultat. Plus les interventions sont agressives, plus elle se sent impuissante. Personne ne sait quoi faire. Je l’écoute puis je lui pose une question simple : « Selon vous, que se passe-t-il dans votre épaule ? Ou dans votre vie, pour que ce soit ainsi ? »
Elle commence par le classique : « Je ne sais pas. » Puis elle dit : « Tout semble se briser, se détériorer, se contracter. Rien ne fonctionne. Comme mon épaule. Et j’ai l’impression que rien ne pourra s’arranger. » Je lui demande : « Qu’est-ce qui ne peut pas s’arranger ? Votre épaule, ou votre vie ? » Elle me regarde. « Les deux », répond-elle. C’est là que quelque chose bascule.
Elle utilise les mêmes mots pour parler de son épaule et de sa vie. Et c’est précisément là que commence le travail c’est-à-dire non pas « réparer » une épaule, mais aider Julie à redevenir consciente. Consciente de son corps, de ses sensations, mais aussi de ce que cela veut dire pour elle.
Quand Julie me décrit son épaule comme brisée, contractée, sans espoir, elle n’imagine pas qu’elle est en train de faire un pas énorme. Elle accède à une nouvelle couche de conscience. Et pourtant, combien de fois nous acharnons-nous à faire taire une douleur – au lieu de l’écouter ? Ce que l’on essaie de supprimer devient justement ce qui empêche toute véritable conscience.
Quand je deviens pleinement conscient de mon corps, une autre dimension émerge. Je commence à me demander ce que cette douleur signifie dans ma vie. Je vois que tout est lié. Il n’y a pas le corps d’un côté, et le reste de ma vie de l’autre. Il y a un tout vivant, en relation constante : mes pensées, mes émotions, mes gestes, mes liens.
La maladie alors change de sens. Elle n’est plus seulement un ennemi à combattre. Elle devient une voix intérieure, un appel, un guide. Et les objectifs aussi changent. Je ne veux plus juste que « la douleur parte ». Je veux être mieux, dans ma vie, pas juste à l’endroit où ça faisait mal. Je réalise que ce n’est pas ma fesse ou mon cou qui doivent changer. C’est peut-être ma vie.
Nos douleurs, nos symptômes, nos déséquilibres ne sont pas là pour qu’on les supprime à tout prix. Ils sont là pour nous reconnecter à nous-mêmes. À notre présence. À notre conscience. À notre capacité d’écouter, de comprendre et d’agir à partir de ce que nous découvrons.
Dr Pierre Bernier, chiropraticien, D.C. 23 06 2025
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